L’humain d’abord, l’ingénierie ensuite : Allison décrit le métier de directeur technique en F1

L'humain d'abord, l'ingénier

Mercedes a assuré que ce n’était pas une sanction contre Mike Elliott… Il n’en demeure pas moins que l’ancien ‘directeur technique’ de l’équipe ne travaille plus aujourd’hui à Brackley. Il a été remplacé, en avril 2023, poste pour poste, par… James Allison, son prédécesseur.

James Allison, ancien de Ferrari et Lotus, avait lui aussi pris un temps du recul sur son poste de directeur technique. Mi-2021, il était devenu ‘directeur technique en chef’, une sorte de promotion mais aussi un signe qu’il s’éloignait de la conception quotidienne d’une F1, pour chapeauter plutôt le développement à plus long terme. Ce poste était cependant assez flou…

Comment alors juger le bilan de James Allison depuis son retour au premier plan, il y a sept mois ? Difficile à dire.

Car le temps de la F1 est un temps long dans l’ère moderne. Le succès d’un directeur technique ne se mesure pas au bout de quelques mois – au mieux au bout d’une bonne année, le temps d’avoir mis les mesures en place, les process correspondants, etc.

« En fait, le rôle que je peux jouer est beaucoup moins technique et beaucoup plus humain que ce que les gens pourraient imaginer » a expliqué Allison au podcast Performance People.

Ces propos de James Allison rappellent ceux, très intéressants, qu’il avait tenus en janvier 2020,rappelant que le directeur technique moderne était moins un ingénieur qu’un manager.

Et Allison d’expliquer plus en détail le rôle d’un directeur technique en 2023…

« L’équipe est pleine d’ingénieurs très forts et de compétences techniques de très haut niveau. Je n’ai donc pas besoin d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit et, dans la plupart des cas, je ne pourrais même pas le faire si je le souhaitais. »

« Ce n’est donc pas un apport technique en particulier que je fournis – ou que toute personne qui a la chance de s’asseoir à ma place (en étant directeur technique) fournit. »

« Ce qui est plus précieux pour quelqu’un qui joue le rôle de directeur technique, c’est de savoir si nous pouvons ou non trouver en nous la force de travailler d’une manière qui permette d’exploiter efficacement toutes les compétences techniques. »

Du point de vue des émotions et de la gestion des ressources humaines, comment James Allison gère-t-il d’ailleurs la motivation dans une équipe, Mercedes, qui est passée de multiple championne du monde à outsider ?

« Lorsqu’une équipe a été sur un plateau très élevé pendant un grand nombre d’années, pendant une longue période, et qu’elle connaît ensuite une baisse, pour quelque raison que ce soit, c’est très désorientant, c’est très désagréable de sentir soudainement que ce que vous ressentiez auparavant à propos de vous-mêmes en tant que groupe a été ébranlé, que les fondations ont été affaiblies par la réalité du chronomètre et par le fait d’être battu par une autre équipe. »

« Cela ébranle la confiance d’une organisation et exerce également des pressions à très court terme sur un business qui a l’habitude de voir plus loin et les pressions à court terme sont… que la voiture est décevante et les résultats aussi… et alors, il faut progresser, et la pression pour le faire est très forte. C’est tout à fait naturel mais c’est très fort, quand même. »

« Cela pousse les gens à agir, mais cela peut avoir pour conséquence que tous les départements de l’équipe – l’aérodynamique, la dynamique du véhicule, le bureau de dessin, toutes les spécialités qui sont nécessaires, qui travaillent ensemble pour créer une bonne voiture… Chacun de ces départements, en fait, peut en quelque sorte se disperser dans leurs coins, séparément, pour faire ce qu’ils peuvent faire ou contribuer de la manière qu’ils pensent être la meilleure. Car ils seraient alors poussés par cette pression très forte pour améliorer la voiture. »

« Et si l’on n’y prend pas garde, ces groupes peuvent cesser de se parler parce qu’ils ont tous la tête baissée, essayant de réparer ce qu’ils considèrent comme leur rôle dans l’amélioration du monde. »

Allison a clairement identifié une faille de Mercedes ces dernières années : la dispersion des efforts, dans une sorte de ‘panic mode’.

« Et le schéma le plus destructeur que nous ayons adopté en tant que groupe au cours de cette période difficile, à partir du moment où notre couronne a glissé pour la première fois, est que nous nous sommes fragmentés plus que nous n’aurions dû. Ce n’est pas parce que quelqu’un s’est brouillé avec quelqu’un d’autre, loin de là. En fait, l’esprit d’équipe, compte tenu de la pression qu’il a subie, a été incroyablement résistant. »

« Mais le désir naturel de chacun de contribuer au redressement de l’équipe était un peu fragmenté ; et je dirais que si j’ai eu un effet positif, c’est en essayant de rassembler tout le monde. J’ai essayé de faire en sorte que les principaux ingénieurs qui dirigent les principales divisions de l’entreprise se parlent davantage, qu’ils se libèrent d’une partie de la pression immédiate, qu’ils se concentrent sur la coordination de leur travail, car si nous y parvenons, le monde s’améliorera et la pression s’apaisera d’elle-même. »

« C’est principalement ce que je fais depuis que j’ai repris mes fonctions de directeur technique. Cela n’a rien à voir avec les écrous, les boulons, les ressorts, les ailerons, les planchers. Je ne me concentre que sur l’humain. Mais néanmoins, ces éléments liés à l’humain deviennent de plus en plus importants au fur et à mesure que l’on monte dans la chaîne alimentaire et que l’on a la chance d’avoir le rôle que l’on vous confie dans l’entreprise. »

Allison, un super DRH plutôt qu’un directeur technique ?

James Allison le confirme donc : il n’est pas derrière la planche à dessin.

En revanche, une grande part de son travail fait appel à des compétences socio-émotionnelles. Pour assurer une bonne intelligence collective, une excellente communication entre les départements afin d’éviter l’effet silo.

« Avec les personnes qui connaissent sur le bout des doigts des pans entiers de l’entreprise, comme Shov [Andrew Shovlin] qui s’occupe de l’aspect course, Loic [Serra] qui s’occupe de l’aspect dynamique du véhicule, John Owen qui s’occupe du bureau du design, Jarrod Murphy qui s’occupe de tout ce qui est aérodynamique, et d’autres noms comme [le responsable des performances en piste] Riccardo Musconi, mon rôle est de simplement réunir ces personnes importantes et de leur poser quelques questions. »

« Les réponses ne sont possibles que s’ils passent un peu de temps à se parler. Et le fait qu’ils passent du temps à se parler signifie automatiquement qu’ils se regrouperont autour d’un programme d’activités convenu conjointement pour obtenir ces réponses. »

« Il ne faut pas longtemps pour que les gens reprennent l’habitude de s’appuyer les uns sur les autres plutôt que de travailler individuellement parce qu’en fait, c’est beaucoup plus amusant de cette façon. »

« Ce n’est donc pas moi qui arrive en disant : “Nous devons abaisser la voiture de trois millimètres et les ressorts doivent aller dans ce sens”, nous savons comment le faire parce que cela nécessite des personnes qui sont dans le détail, qui sont des ressources qui sont sous le contrôle de personnes plus haut placées que je viens de décrire. »

« Ces personnes qui se trouvent dans la salle des machines de l’équipe doivent recevoir la confiance de leurs propres dirigeants pour travailler sur des domaines qui vont peut-être aider et le faire d’une manière qui est reliée à l’ensemble de l’entreprise. »

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